
Délocalisées à la Maison de la Radio à Paris, les Rencontres économiques d'Aix-en-Provence rebaptisées à l'occasion de leur 20e anniversaire « Rencontres économiques Aix en Seine » ont choisi de se pencher sur l'Afrique autour de deux thèmes. L'un autour de l'intitulé « Préserver l'Afrique d'une crise de la dette » avec Carlos Lopes, professeur à l'université du Cap (Afrique du Sud) et ex-secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations-Unies pour l'Afrique, Yoshifumi Okamura, représentant du Japon auprès de l'OCDE, et Mario Pezzini, directeur du Centre de développement de l'OCDE. L'autre sur la thématique du « nouveau partenariat Europe-Afrique » avec Elisabeth Moreno, vice-présidente Afrique de Hewlett-Packard, Ibrahima Assane Mayaki, secrétaire exécutif de l'Agence de développement de l'Union africaine, Carlos Lopes, déjà présent sur la dette, Cheikh Kanté, ministre sénégalais en charge du Plan Sénégal émergent, enfin Vincent Rouaix, président de GFI.
En quoi est-il pertinent que, pour cette édition autour du thème « Agir contre les dérèglements du monde, on va s'en sortir », le Cercle des économistes, présidé par Jean-Hervé Lorenzi, se penche sur l'Afrique au sortir de la crise du Covid-19, sanitaire mais aussi économique et sûrement sociale ? Rappelons-nous, au mois de mars, juste avant la pandémie du nouveau coronavirus, l'Afrique était regardée comme la « nouvelle frontière ». Sous l'impulsion de sa stratégie de la nouvelle route de la soie, la Chine a inondé l'Afrique d'investissements, notamment dans le domaine des infrastructures. Le regard posé sur les faiblesses du continent a progressivement changé percevant désormais celles-ci comme des opportunités.
D'aucuns ont compris l'importance stratégique de mettre en place un écosystème vertueux pour transformer le potentiel africain en marchés et de permettre au continent de changer son paradigme dans les chaînes de valeur internationales Perçue comme un continent d'opportunités avec une forte croissance pendant près de deux décennies, l'Afrique va devoir se réinventer du fait du coup d'arrêt de la pandémie au sortir de laquelle la Banque mondiale pronostique pour le continent un « effondrement de l'activité économique », « une augmentation de la pauvreté » doublée de « la mise en danger des vies humaines et des moyens de subsistance des populations ». Professeur émérite à l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne), ancien président du Conseil d'Analyse Economique auprès du Premier Ministre de 2003 à 2012, Christian de Boissieu, vice-président du Cercle des économistes, s'est confié au Point Afrique sur les défis qui attendent l'Afrique post-Covid-19.
Le Point Afrique : Avant la crise sanitaire du Covid-19, l'Afrique était perçue comme la nouvelle frontière. Pensez-vous que cela va changer ? Si oui, sur quels points et comment ?
Christian de Boissieu : Je pense, comme avant le Covid-19, que l'Afrique va être le continent du XXIème siècle. Tout le monde souffre de la crise sanitaire et de ses conséquences économiques, donc le continent africain aussi. Mais pas plus que les autres… Plutôt moins si l'on en croit les statistiques officielles. Grâce à une intervention rapide, le nombre de décès, bien sûr trop important, y a été relativement (en proportion de la population) plus faible qu'aux Etats-Unis et dans nombre de pays d'Amérique latine. Il faut se rappeler qu'en mars on prévoyait le pire, ne serait-ce que du fait que le confinement est encore plus compliqué en Afrique qu'en Asie ou en Europe pour des raisons culturelles totalement respectables.
J'admire la manière dont des pays comme le Maroc, la Tunisie, le Sénégal, la Côte d'Ivoire et tant d'autres ont pris les dispositions nécessaires pour limiter les pertes humaines. Par ailleurs, l'Afrique a, en général, trouvé un équilibre satisfaisant entre des critères sanitaires, appelant à élargir et allonger le confinement pour sauver des vies, et des critères économiques conduisant à ne pas trop prolonger ce confinement afin de limiter la casse économique et sociale. Restons vigilants, en Afrique comme ailleurs, car une deuxième vague serait pour nous tous une catastrophe sanitaire et économique.
Le Covid-19 n'a pas entamé le potentiel économique africain, qu'il s'agisse du dynamisme démographique (pour moi, un atout plutôt qu'un défi), de l'essor de la qualité du capital humain (à savoir retenir et attirer), de l'esprit d'innovation et de l'incorporation des nouvelles technologies. Sur des thèmes importants, l'Afrique est sur la « frontière technologique » ou s'en rapproche vite, qu'il s'agisse des technologies de paiements, des technologies de l'information et de la communication, de l'intelligence artificielle ou de la blockchain,…Dire cela , ce n'est pas sous-estimer l'ampleur des défis à relever : le chômage, les inégalités, la pauvreté, la lutte contre le changement climatique, la lutte contre la corruption,…Mais tous ces défis concernent la plupart des pays, avancés comme émergents. C'est ensemble, en mettant en commun nos expériences, nos réussites et nos échecs, et nos financements qu'il faut les relever.
Répliquant au consensus de Washington, des pays africains ont proposé un consensus de Dakar lors de la conférence de Dakar du 2 décembre organisée autour du thème « Développement durable et dette soutenable : trouver le juste équilibre ». Les pays africains y ont avancé la nécessité pour les institutions internationales d'intégrer dans leurs critères d'appréciation l'impact des dépenses liées à la lutte contre le terrorisme. Faudra-t-il ajouter désormais celui de la nécessaire mise à jour des systèmes de santé ?
Effectivement, le Cercle des économistes a participé activement à la conférence de décembre 2019 qui a proposé d'abandonner le « consensus de Washington » au profit du « consensus de Dakar ». Ce faisant, nous avons voulu sortir de la vision traditionnelle et un peu trop « prêt- à- porter » du FMI et de la Banque mondiale face à des pays souvent surendettés qui viennent y chercher des financements de secours. Même si la conditionnalité (ensemble des ajustements macroéconomiques requis) a évolué au cours du temps sous l'effet de critiques convergentes (dont celles du Nobel américain Joseph Stiglitz), elle reste trop court-termiste et d'un champ trop étroit. La conditionnalité des prêteurs doit désormais s'inscrire dans le long terme, mettre l'accent sur les infrastructures requises pour un développement durable et inclusif, tenir compte, comme vous l'évoquez, des dépenses d'intérêt général liées à la lutte contre le terrorisme, comporter une dimension écologique forte.
La croissance est nécessaire pour faire progresser le niveau de vie (mesuré par le PIB par tête), pour faire reculer le chômage et pour aborder dans de meilleures circonstances la lutte contre la pauvreté et la réduction des inégalités. En Afrique comme ailleurs, cette croissance est compatible avec la réduction des émissions de gaz à effet de serre (le CO2 représentant à lui seul 70 % du problème à traiter) à condition d'intensifier les économies d'énergie, de modifier le mix énergétique, d'améliorer l'efficacité énergétique…Je ne souhaite ni pour l'Afrique ni pour l'Europe ni pour personne la décroissance. La récession de 2020, avec son cortège de faillites d'entreprises et de plans sociaux, n'est-elle pas justement le meilleur vaccin contre l'idée même de décroissance ? Par ailleurs, plus de croissance permettrait de retrouver des taux de croissance supérieurs (en moyenne) aux taux d'intérêt sur la dette, une configuration qui ne gomme pas les affres d'un endettement souvent mal employé (utilisé pour financer non pas de l'investissement mais de la consommation) mais qui évite à tout le moins l'emballement du surendettement. En attendant de retrouver des taux de croissance au- dessus des taux d'intérêt, je salue l'initiative du G20 de mars 2020 de suspendre pour 12 mois le remboursement de la dette de 40 pays africains. Une mesure nécessaire, mais pas suffisante. D'ailleurs, la France et l'Allemagne étaient et sont prêtes à aller plus loin.
En termes de croissance, j'insiste sur le chemin à parcourir. En 2018 et 2019, l'Afrique subsaharienne a, en moyenne, crû respectivement de 3,2 % et 3,1 %. Pas vraiment plus que le monde dans son ensemble (respectivement, 3,6 % et 2,9 %). En 2020, année de la grande récession, le PIB de l'Afrique subsaharienne va reculer de -3,2 % (moins que le monde : -4,9 %) avant de remonter avec modération à 3,4 % en 2021 (prévisions du FMI de juin 2020). Or, à Dakar en décembre, nous avons fixé un objectif de croissance pour la zone subsaharienne à 6 % par an. Nous en sommes loin. Pourtant, l'objectif peut être atteint si l'on met ensemble les talents, les technologies, les financements et la bonne gouvernance. Seule une croissance de cet ordre permettrait de couvrir convenablement ce que François Perroux appelait les « coûts de l'homme », dont bien sûr les dépenses de santé.
Que faudrait-il faire évoluer dans les critères d'appréciation du risque africain pour que celui-ci ne soit pas exagéré ?
La dette africaine a, en gros, trois composantes : la dette bilatérale vis-à-vis des Etats, la dette multilatérale à l'égard des organismes internationaux, et la dette commerciale (ou privée). Que constate-t-on ? Une montée de la part de la dette commerciale, qui est en moyenne autour de 40 % du total. Or cette dette commerciale ou privée porte des taux d'intérêt plus élevés que la dette bilatérale ou multilatérale qui intègre en général des taux d'intérêt concessionnels. La dette africaine coûte donc plus cher qu'avant, dans le contexte où l'Europe connaît durablement des taux proches de 0 %, quand ils ne sont pas négatifs. Un peu paradoxal…
Cette dérive des taux est accentuée par les marchés financiers, les analystes financiers, les agences de rating… qui surestiment le risque africain et donc sous-évaluent les notes de nombre de pays africains. Les uns et les autres appliquent des grilles d'analyse trop classiques, se fondent sur des images et des représentations héritées de problématiques passées. Il faut du temps pour surmonter cette inertie des représentations collectives. Je demande par exemple aux agences de rating de mieux valoriser ce qui se constate sur le continent africain : le potentiel innovateur et technologique, la disponibilité de talents, le potentiel de croissance, les progrès-lents mais continus- de la gouvernance macro-et microéconomique, les avancées dans la transition énergétique et dans l'adhésion à des contraintes écologiques,…
Matières premières, investissement, plus forte localisation des chaînes de valeurs, plus d'inclusivité économique…, les défis sont nombreux pour l'Afrique. Comment pourrait-elle les relever alors que le repli économique, le protectionnisme et la crise économique généralisée vont nécessairement impacter le soutien et la solidarité des pays du Nord ?
L'Afrique est exposée en 2020 à un cercle vicieux bien connu. La récession s'accompagne d'un repli du cours de la plupart des matières premières, ce qui engendre pour les producteurs de sévères contraintes de financement et de surendettement qui accentuent le phénomène initial. Qu'il s'agisse des prix du pétrole ou d'autres matières premières industrielles ou agricoles, ce que perdent les pays producteurs avec le recul des prix dépasse ce que gagnent les pays importateurs : le jeu n'est même pas à somme nulle, il risque d'être à somme négative…
Plusieurs facteurs poussent ces temps-ci au retour des frontières et au désir de souveraineté et de contrôle : la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, avec des hauts et des bas ; la faiblesse de la gouvernance mondiale, faiblesse qui autorise la montée de l'unilatéralisme et de la tentation protectionnisme ; la persistance de tensions géopolitiques ; cerise sur le gâteau si je puis dire, les incertitudes sur les négociations post-Brexit. Ma liste est partielle. Ces facteurs poussant à une certaine fragmentation de l'économie mondiale sont accentués par les conséquences du Covid-19. Ceci dit, le mouvement de « démondialisation » à mon avis n'ira pas très loin, sauf nouveau choc géopolitique ou financier majeur. Car il serait , individuellement et collectivement, suicidaire de se passer des avantages de la division internationale du travail. Car les technologies (IA, blockchain…) poussent par nature à la globalisation.
L'ambiance née du Covid-19 pousse certes à des relocalisations, populaires aux yeux des opinions publiques, et à de nouvelles stratégies industrielles qui vont avoir des conséquences directes pour les pays émergents en général, l'Afrique en particulier. Je pense par exemple aux velléités affichées par la France de relocaliser la filière santé et médicaments ou une partie de la filière automobile. L'échelle pertinente sera d'ailleurs souvent plus européenne que nationale. Je crois que ces relocalisations seront limitées dans l'espace et dans le temps. Plutôt que de « détricoter » la mondialisation, il vaudrait mieux aujourd'hui chercher à « tricoter » une gouvernance mondiale digne de ce nom. Nous en sommes loin, et le débat ici est de nature politique et géopolitique, non pas technique. Cela fait des années que je dénonce la sous-représentation de l'Afrique au G20…. Certes, vu le manque d'effectivité du G20, il y a plus grave. En même temps, c'est une injustice à corriger rapidement vu les tendances de l'économie et de la géopolitique mondiales…
Face au ralentissement inéluctable de la Chine, qui aura des conséquences sur la stratégie africaine de ce pays, face aux tentations de repli de la part des pays du Nord et de certains pays émergents, l'Afrique doit promouvoir un développement plus endogène, plus fondé sur ses propres forces et atouts. Elle doit aussi promouvoir sa propre intégration commerciale, monétaire, financière, juridique,…
Objet de démonstration de solidarité de la part de la Chine, premier foyer du Covid-19, l'Afrique peut-elle être encore plus sous influence de l'empire du Milieu à la sortie de la crise sanitaire ?
Si la Chine croît de seulement 1 % en 2020 contre environ 6 % avant le Covid-19, cela équivaut pour elle à une vraie récession (même si la croissance reste positive), avec des ajustements douloureux pour la politique domestique et la stratégie internationale de l'Empire du Milieu. Certes, la Chine retrouvera assez vite des croissances plus soutenues sans repartir vers 6 %.. Mais le Covid-19 va provoquer des transitions durables. Sans doute faut-il distinguer les flux des stocks : la Chine ne va pas désinvestir de l'Afrique (effet-stock), disons qu'elle va, pour des raisons d'ajustement interne, ralentir son expansion sur le continent africain (effet-flux), et les IDE chinois pourraient être les premiers concernés. La nature ayant horreur du vide et compte tenu des défis auxquels sont eux-mêmes confrontés les pays du Nord, il serait souhaitable de promouvoir plus d'IDE d'origine africaine en Afrique. L'épargne est là, disponible en quantité, qu'elle soit formelle ou informelle. Tout est affaire de confiance, de gestion partagée des risques, de bonne « tuyauterie » pour attirer plus de cette épargne vers le financement des entreprises, des infrastructures (santé, éducation,….), de l'innovation , de la transition énergétique…De tout ce qui permettra de relever la croissance potentielle et effective, de réduire le chômage en général et le chômage des jeunes en particulier, tout en respectant les normes environnementales et sociales.
Comment pensez-vous que la crise sanitaire du Covid-19 va impacter l'évolution de la Zleca ? Quelle ligne de crête les pays africains devront-ils suivre pour ne pas perdre le fil de leurs ambitions pré-Covid-19 ?
Je salue la création de cette zone de libre-échange qui va rassembler l'ensemble des membres de l'Union Africaine. Un projet fédérateur et intégrateur, au moment où je l'ai dit, l'économie mondiale connaît des risques de fragmentation. L'Afrique se doit de relever ce saut qualitatif, mais pour moi il s'agit plus d'une étape que d'un état final. Un marché commun pourrait être l'étape d'après, plus ambitieux et plus impliquant qu'une zone de libre-échange. Il s'agirait alors d'agréger plusieurs marchés communs régionaux déjà en place ou en cours de formation. Il s'agit là d'un processus forcément long, fait d'avancées et de points de blocage. Malgré notre historique et notre expérience de l'intégration régionale, nous avons dû, en Europe face au Covid-19, constater et regretter l'absence d'une Europe de la santé et du médicament. Chacun pour soi… Des réunions à Bruxelles des ministres de la santé des pays de l'UE, cela est très en deça de ce que pourrait laisser espérer une vraie mutualisation au niveau européen des objectifs et des moyens des politiques de santé. En matière d'intégration et de coopération, l'Afrique doit tirer les leçons des expériences d'autres continents, sans chercher à répliquer tel ou tel schéma ; elle doit trouver sa propre voie.
Avec la crise du Covid-19, la santé s'est révélée une variable économique à part entière. Comment l'intégrer dans les plans de développement et d'émergence. Et surtout comment la comptabiliser ?
Aller bien au-delà du PIB, afin de raisonner et décider à partir d'indicateurs intégrant les facteurs extra-financiers tels que les critères ESG (environnement, social et sociétal, gouvernance), l'exigence devient universelle. Je constate, plus de 10 ans après le rapport Sen/Stiglitz, la difficulté concrète pour les comptables nationaux et les statisticiens d'aller vraiment « au-delà du PIB ». Malgré tout, continuons à travailler ensemble, à l'ONU, à l'OIT, dans tous les organismes internationaux, afin d'élargir la focale par la prise en compte de tout ce qui se rapporte à l'éducation, à la santé,…
Quels préalables voyez-vous qu'il faut régler pour éviter un enlisement de toute la région ouest-africaine du fait de la prochaine disparition du franc CFA et de l'adoption de l'éco ? Quelle démarche vous paraîtrait la plus judicieuse pour changer les paradigmes monétaires de la sous-région ?
Les questions de monnaie, de politique monétaire et de souveraineté monétaire sont centrales. Je salue donc le grand intérêt et la grande ambition de la création de l'éco pour les pays de la CEDEAO. Le calendrier ne sera probablement pas celui qui a été annoncé. Mais peu importe, la direction est donnée et la dynamique enclenchée.
Les défis à relever sont à la hauteur de l'ambition. Nous en faisons l'expérience en Europe avec l'euro, qui à mon avis est là de manière irréversible mais nécessite des progrès substantiels dans la gouvernance économique et politique de la zone euro.
L'éco, monnaie commune ou monnaie unique pour la CEDEAO ? Le débat n'est pas que sémantique. En Europe, nous avons eu avec l'ECU une monnaie commune se surajoutant aux monnaies nationales, avant de passer à l'euro qui est venu remplacer les monnaies nationales. Du projet africain, je comprends que l'éco a vocation à être d'emblée une monnaie unique à la place du franc CFA et de quelques autres devises. Pourquoi pas ?
L'Afrique de l'Ouest est en train d'adopter la même séquence que la zone euro : l'intégration monétaire avant l'intégration budgétaire et politique, la monnaie comme point de départ et non comme couronnement. Il faut simplement être conscient de ce que cela représente en termes de convergence des économies et de coordination des politiques économiques nationales. Le pari de la CEDEAO et des pays-membres est que le « mariage » monétaire va engendrer, de façon endogène, la convergence et la coordination qui permettront à ce « mariage » non seulement de tenir mais en plus de prospérer. L'expérience de la zone euro montre qu'il y a là un vrai défi, qui relève de considérations politiques mais aussi culturelles. J'ajoute un défi supplémentaire dans le cas de l'Afrique : pour des raisons bien connues tenant à la spécialisation de nombre de pays africains sur les mêmes matières premières, les échanges commerciaux intra-africains demeurent modestes. Une différence notable avec l'Europe. Une libéralisation plus poussée, voire un vrai marché unique entre les pays de la CEDEAO , permettraient de les doper. Sans oublier qu'une monnaie unique doit s'adosser à des marchés financiers résilients et intégrés, une condition loin d'être satisfaite aujourd'hui dans la CEDEAO. Tout cela, de toute façon, prendra du temps. On ne pourra pas aller plus vite que la musique…
Quant au taux de change de l'éco, je suis partisan de l'ancrer dès sa naissance sur un panier de monnaies composé de trois devises : le dollar, l'euro et le renminbi chinois. Les pondérations respectives de ces trois devises doivent dépendre de la structure du commerce extérieur de la zone CEDEAO. Dans un monde de changes flottants et qui va le rester, il faudra accepter et , à certains moments, rechercher des ajustements de parité pour l'éco. C'est indispensable pour ne pas sacrifier la compétitivité-prix. Des ajustements trop peu fréquents conférent un caractère excessivement dramatique aux dévaluations, on l'a bien vu avec le franc CFA (au fait, à ma connaissance, ce dernier ne disparaît pas puisqu'il continue à fonctionner dans la zone CEMAC).
Comment voyez-vous l'Afrique des 7 prochaines années ?
Les analystes , les marchés financiers, les agences de rating surestiment le risque africain, par comparaison avec d'autres régions du monde. Pour ma part, je me sépare de tout ce courant qui va dans le sens d'une surestimation des risques du continent africain. Je demeure fondamentalement optimiste à moyen-long terme pour l'Afrique. Elle a pour elle beaucoup d'atouts : la dynamique démographique (« il n'est de richesses que d'hommes », disait il y a fort longtemps Jean Bodin), les hommes et les femmes c'est-à-dire les talents, les technologies et la capacité d'innover, les capitaux, les matières premières,… Pour valoriser tous ces atouts, l'Afrique doit très vite mettre en place des systèmes de gouvernance crédibles, efficaces et transparents, qu'il s'agisse de la gouvernance macroéconomique ou de la gouvernance des firmes (« corporate governance »). Je souhaite aussi une relance du partenariat euro-africain sur des dispositifs plus équilibrés et résolument gagnant-gagnant, dans lesquels la question de la dette serait l'une des facettes d'une coopération tournée résolument vers le long terme, vers moins d'inégalités et plus de solidarité entre pays mais aussi entre générations. D'une coopération réunissant toutes les parties prenantes, décideurs publics et société civile, dans le respect de la souveraineté des uns et des autres.
July 05, 2020 at 01:12AM
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Christian de Boissieu : « L'Afrique doit promouvoir un développement plus endogène » - Le Point
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